Kuei, je te salue : conversation sur le racisme
En 2016, la poète Innu Natasha Kanapé Fontaine et le romancier
québéco-américain Deni Ellis Béchard entamaient une conversation sans
tabou sur le racisme entre Autochtones et Allochtones. Cette rencontre
littéraire et poétique ouvrait un dialogue nécessaire et faisait émerger
une série de questions. Comment cohabiter si notre histoire commune est
empreinte de honte, de blessures et de colère ? Comment faire réaliser
aux Blancs le privilège invisible de la domination historique? Comment
guérir les Autochtones des stigmates du génocide culturel ? Pour ouvrir
le dialogue et amorcer la nécessaire réconciliation entre nos peuples,
Deni et Natasha sont partis de leur trajectoire personnelle et ont tenté
de débusquer les mots et comportements qui empruntent les chemins du
racisme. Natasha raconte sa découverte des pensionnats autochtones, son
obsession pour la crise d'Oka, la vie sur la réserve de Pessamit ; Deni
parle du racisme ordinaire de son père, de la ségrégation envers les
Afro-Américains, de son identité de Québécois aux États-Unis.
Cinq ans et des milliers de lecteurs et lectrices plus tard, Deni et
Natasha ont décidé de reprendre la plume et de poursuivre ce «
rendez-vous de la parole qui s'ouvre ». Démarré en septembre 2020, leur
échange épistolaire renoue avec le ton intimiste et le foisonnement
intellectuel qui caractérisaient leurs premiers échanges. Deni écrit
depuis Stanford, en Californie, alors que les feux de forêts ravagent ce
territoire et que la campagne présidentielle bat son plein aux
États-Unis, en pleine pandémie, sur fond de montée des extrêmes et d’une
parole haineuse libérée par quatre ans de pouvoir de Trump. Il décrit
la mobilisation sans précédent du mouvement Black Live Matters à la
suite de l’assassinat odieux de George Floyd, cet Afro-Américain de 46
ans abattu par un policier blanc à Minneapolis le 25 mai 2020. Natasha a
été marquée par le soulèvement des Wet’suwet’en contre le gazoduc
Coastal GasLink partout au Canada et par l’hypocrisie colonialiste de la
politique de la reconnaissance du gouvernement Trudeau à l’égard des
Autochtones.
Puis, au milieu de leurs échanges, est arrivé l’impensable : la mort de
Joyce Echaquan, une femme de 37 ans, Atikamekw, sous les injures
racistes et humiliantes de deux infirmières de l’hôpital de Joliette. «
Une indignation est montée. […] À Montréal, le samedi suivant, nous
étions des milliers à marcher pour la reconnaissance du racisme
systémique, comme celui dans les services de la santé, et à réclamer
justice. Son nom est désormais rattaché au mot « justice » : Justice
Pour Joyce. Une douleur est venue m’envahir. Depuis, elle habite mon
corps comme une vieille amie. Je n’ai pas ressenti de colère. Je n’en ai
plus la force. Une douleur tellement vive, Deni. J’en pleure presque
tous les jours. »
Deni lui répond : « Chère nuitsheuakan, pendant cette période de
souffrances et d’incertitudes, il est clair que la solution passera par
un chemin long et difficile. […] Récemment, je me suis plongé dans
l’histoire des mouvements sociaux et j’ai pris conscience des millions
de personnes qui ont lutté jusqu’ici. C’est horrible de parler de
patience quand tellement d’êtres humains vivent de l’oppression, mais
il faut qu’on persiste et qu’on sache qu’au cœur de tout ce qu’on fait,
reste le dialogue. Un proverbe grec dit : « Une société devient grande
quand des vieillards plantent des arbres à l’ombre desquels ils savent
qu’ils ne s’assoiront jamais. » Je souhaite qu’on ait des
politicien.ne.s qui, un jour, se demandent ce qu’il faut faire
aujourd’hui pour avoir la paix demain. En attendant, on a des artistes
et des militant.e.s comme toi.»
Croisant leurs mots, leurs indignations et leurs espoirs, ces deux
grands écrivain.e.s nous offrent un livre humaniste et universel sur le
rapport à l'autre et le respect de la différence.
Les libraires vous invitent à consulter
Une autre fois : Kuei, je te salue
Par Alexandra Mignault publié le 15 février 2021
Un livre qui fait l’objet d’une réédition porte nécessairement une parole qui a suscité assez d’échos pour que nous souhaitions la réentendre. Nous avons donc décidé de mettre en lumière certains de ces ouvrages qu’il est impératif de revisiter.
Lire l'article